En 1948, Louis Van Lint est le premier peintre belge de sa génération à créer des œuvres abstraites de caractère lyrique (peu avant, Jo Delahaut avait abordé l’abstraction sur le mode géométrique). Déjà, une œuvre comme Composition (Intérieur) permet à peine de supposer, sous l’ingénieux cloisonnement des aplats multicolores, un intérieur meublé. Divers autres objets deviennent alors aussi prétexte à d’éloquents arrangements formels où priment le souci de l’arabesque élégante et le dialogue de couleurs contrastées. Mais dès cette année 48, c’est principalement la nature, une nature entendue dans la force de ses éléments premiers et perçue à travers la subjectivité de l’artiste, qui va désormais engendrer chez l’artiste des abstractions parmi les plus inspirées. A cet égard, Ciel mer et terre, une toile où fusionnent vagues et nuages, constitue le premier envol d’importance en direction de cette abstraction lyrique qui fera la réputation et l’originalité de l’art de Van Lint.
L’artiste se risque alors à une écriture spontanée dans l’émergence de signes mobiles et expansifs qui apparaissent comme autant de métaphores formelles de nature végétale, organique ou cosmique (Musique en enfer). Ces signes, ces sortes de cellules aux courbes oblongues intimement intriquées mais volontiers cassées par des angles, trouvent leur cohérence et leur pouvoir d’expression dans l’organisation inventive d’aplats de couleurs fauves (Symphonie en rouge), parfois aussi de gammes plus sombres et monochromes (Composition magique). En 1950, de telles œuvres sont montrées au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, puis dans une galerie parisienne et à Amsterdam en 1951. Durant ces années, Van Lint est admiré par ses cadets du groupe Cobra, invité aussi à participer à quelques unes de leurs expositions et activités. En 1949, il créé notamment sa lanterne magique, une œuvre étonnante, faite de cartons et de cellophanes découpés, mis en rotation (la première œuvre cinétique en Belgique) et projetant des formes abstraites. « Plus âgé et hors de l’influence danoise, Van Lint est assez proche de nous et nous inspire », écrira un des fondateurs de Cobra, le poète et peintre Joseph Noiret. Dès 1951, l’année où le Ministère de la Culture commande au critique d’art Léon-Louis Sosset une première monographie consacrée à l’artiste, certaines toiles dénotent chez l’artiste un désir d’inscrire sa réinvention du réel dans des compositions sérielles où d’insistants segments orthogonaux verticaux, horizontaux et obliques rythment la toile ou la gouache. Il en est ainsi des œuvres inspirées tantôt par les vitraux de Chartres (Chartres, Musée royal des Beaux-Arts d’Anvers), tantôt par des échafaudages urbains, ou encore, comme dans l’admirable Composition musicale, par des instruments de musique. Montrées dans diverses expositions internationales, les œuvres de cette époque méritent à Van Lint de remporter quelques prix : à Santa Margherita-Ligurie en 1950, à Lugano en 1952, et d’être envoyé par la Belgique à la première Biennale internationale de São Paulo en 1951. Cette assise dans l’abstraction, ne prive guère Van Lint de réaliser encore des œuvres figuratives, marquées à l’évidence par sa prédilection pour les arrangements abstraits de formes et de couleurs (Homme se rasant, autoportrait).